YET ANOTHER LANDSCAPE (CEZANNE, GROTTE DE CHAUVET, ETC.)

En 10 actes plus 1.

  1. Un paysage non étendu, empilé à la verticale, deux visions possibles, plan frontal et point de fuite télescopique, intérieur sombre, assorti de découpes et de tranchées. La plaque supérieure en découpes épaisses, amincissement une fois. Le verre, réfraction des constituants et renvoi de lumière.
  2. Un morceau de l’empilement se détache, et s’y détachent deux têtes sur les trois trouées, se matérialise en se remplissant à fleur et en creux. Un dialogue de sourds, tête-bêche, côte à côte, dos à dos.
  3. Les nappes des natures mortes, puis la Sainte-Victoire, la nuit, absorption de lumière dans un jaune flou, le bleu repousse. Une carapace évidée, des soustractions inévitables.
  4. Du centre et de la périphérie, deux ovales verticaux se confondent, des empreintes tirées de la matrice conique, coupées au sommet, inversées, papier carbone double et dédouble.
  5. Un autre ovale, horizontal, bas, un autre dialogue muet, la résine/graphite pèse sur des formes à émerger ou sombrer, contraintes dans le pourtour bleu.
  6. Chute d’asphalte, route de montagne, pluie d’orage, glissade, perte de contrôle, le ciel en contrebas, A/R en papier carbone.
  7. Eclats de verre ressoudés annoncent l’immanence de la déstabilisation de la carapace en porte-à-faux.
  8. Chauvet, des lignes dessinées en gerbe, puis deux lignes qui s’entrecroisent, représentation possible d’éruption volcanique à grande distance, les coupes horizon(tales) et verticales, les tracés non fixés de craie blanche tentent de témoigner de ces déplacements temporels. Le champ gravitationnel de l’espace-temps est réel.
  9. Volcan inversé, vue télescopique, magma chaotique, sienne et bleu rentrant ou sortant, c’est égal.
  10. Trois éclats de cire massifs en position triangulaire, la triangulation se géométrise en cuivre conducteur, de la cire orange évidée en demi-lune ou soleil couchant.
  11. Plaquer deux carrés, les tourner d’un quart, les séparer jusqu’à trouver la bonne mesure, la vérifier en les joignant de résine et papier carbone en suivant les huit angles, les huit crêtes/horizons, sans fin.

(S)HELL

Si le sens est prisonnier du langage, alors les mots sont les gardiens qui empêchent notre libération des normes et valeurs existantes. Notre usage des mots et la relation nécessaire qui existe entre la pensée et le langage renforce et perpétue les perceptions sociales et modes d’être. Ces pièces sont des infér-ences, des indices à des moyens d’échapper aux systèmes, mais simultanément pourraient être rien de plus que des leurres ou des feintes.

Le jeu sur les contradictions et négations du langage, voilà où se trouvent les possibilités de fuite : à travers la création de sens nouveaux et de fictions. Si l’on admet d’une part que le langage se sert de nous, et d’autre part que le mot peut être une arme, on fait évoluer la bataille du langage et du sens. En supprimant les lettres, en les inversant ou en les laissant s’amuïr, on crée de nouveaux espaces et sentiers de fuite. Pourtant, la futilité et l’apparente impossibilité de cet exploit se lisent dans l’état des oeuvres qui en résultent : dans le vide des tubes où s’écoule la cire quand on la chauffe. Blanches, modestes, se fondant dans leur environnement, d’agrégeant à la structure de l’espace, ces oeuvres par leur positionnement jouent sur la linéarité de l’acte d’écrire : elles remettent en question les idées de l’écrit et du dit, les différences entre les aspects oral et visuel du langage.

« Jeter de poudre aux yeux » (To throw dust in your eyes), « se mettre la tête dans le sable » (To bury your head in the sand), « se tirer la laine devant les yeux », (To pull the wool over your eyes) : ces expressions sont tournées vers le visuel, vers l’écrit. Si l’on prend les substantifs, ces objets solides du langage dont la structure et l’étymologie semblent certaines, les mots, en retournant les lettres de haut en bas ou en leur faisant prendre l’apparence des autres, on crée un labyrinthe sans fin de renvois et d’autoréférences, labyrinthe qui joue sur l’idée de communication aboutie ou manquée, et de langage en tant que fiction, illusion, leurre. Le silence du pouvoir que détient le langage, les déguisements qu’il revêt et les modalités de ses systèmes s’incarnent dans le squelette qui subsiste. Ce qui fut une colonne vertébrale, une charpente, est à présent une coquille, un sarcophage. A la fois protection et barrière (armure). Les os qui donnent ses dimensions à notre chair, qui nous soutiennent, sont aussi les os qui perpétuent notre incarcération dans des structures à travers le langage. Nous jetons, exprimons ou bannissons des mots dans l’espoir d’obtenir un écho, une confirmation de notre position dans le monde. La communication perd sa direction linéaire entre le premier et le second, et s’égare au milieu, dans le passage, ou processus. Dissimulés ou rendus muets par leur poids et leur dimension, les vestiges de l’exprimé gisent à l’abandon sur le sol, à mi-chemin entre le producteur et le consommateur, comme la cire qui s’est écoulée, et a depuis longtemps disparu. Sans plus de lien avec le producteur et le consommateur, ces paroles, ces écrits sont là, ils occupent l’espace tels des objets, comme s’ils étaient tombés d’une bouche, s’étaient perdus et fossilisés.

Bien qu’ils soient de verre, ces objets sont opaques, fragiles, et pourtant d’une densité visible. Les couches successives de silice en suspension laissent une texture et une allure semblables au braille, calcification de leur passage recouvrant un vide qui rappelle la perte silencieuse de la cire rouge. En cela, les processus sont recouverts, indécelables ; chaque épaisseur de silice émerge et masque la précédente, et de ce fait, la ligne de fuite suivie par l’artiste est cachée. Il nous reste le balbutiement, l’énoncé. Enoncer c’est faire savoir, mais l’énoncé est aussi une totalité en soi, aussi nous reste-t-il des fossiles des tentatives de fuite possibles, des documentaires de fiction. Le squelette devient une carte géographique, mais le sens ou l’intention originelle ne sont que traces. Le paradoxe est que ce qui nous reste est plus une expulsion visuelle et verbale, le bruit du discours plutôt que la fluidité de l’écrit. Ces énoncés contradictoires, incomplets mais tangibles, solides mais creux, rejaillissent sur le tout et le trou, l’obscur(ité) et le clair(voyant) ou« l’enfer », le visible et l’invisible, l’intérieur et l’extérieur, le statique et le fluide. Bien qu’elle soit contenu dans notre corps, la stase n’est pas notre état naturel, nous sommes constamment en mouvement, nous sommes à la fois la cire et la coquille.

Laura Hough. 2001.

Texte reproduit dans le catalogue de l’exposition « Stephen MAAS à l’Espace d’Art Contemporain Camille Lambert », 2002.